Construire. Pour un monde à venir, malgré tout
A bien des égards, lorsque l’on suit aujourd’hui le parcours d’un jeune artiste formé dans une bonne école d’art, on a l’impression de déchiffrer une enquête sur les formes de la modernité, telle que l’expérimenta Walter Benjamin avec son dispositif du Passagenwerk. Il s’agit de “passages” et de “traversées” afin de reconstruire une histoire plausible de la modernité. Celle-ci apparaît dès lors comme un ensemble disloqué, composé de multiples réseaux discontinus qui, idéalement, pourraient trouver leur point de jonction ou, du moins, l’espace de leur croisement. Mais très vite l’hypothèse se concrétise : les jonctions ne constituent que des zones vides et les “carrefours” culturels s’apparentent à des places désertes, à des paysages urbains métaphysiques.
Alexis Judic appartient à cette jeune génération d’artistes qui semblent être traversés par des courants de l’histoire de l’art que l’on croyait sinon oubliés du moins éteints. Mais il est notable de constater que pour des artistes tels qu’ Alexis Judic seule l’histoire de l’art que l’on peut sinon vivre soi-même, du moins appréhender comme expérience personnelle, seule cette histoire-là nous concerne.
Comme un étranger Alexis Judic cherche le chemin du retour au pays. C’est un chemin encombré de zones vides, de décharges, de déchets oubliés. Le temps a démonté les installations des utopies qui sont même dépossédées de la possibilité de faire ruine, car les sites eux-mêmes sont plongés dans le chaos de l’entropie.
Les œuvres de l’utopie sont comme l’art de l’histoire des avant- dernières choses : elles ont sombré par des failles de l’espace-temps et sont désormais soustraites au regard. Peut-être reviendront-elles aux temps ultimes, mais sans doute avons-nous déjà dépassé la limite. Comme on le voit, le Constructeur est obligé de devenir l’historien de son propre devenir. Ce qu’il forge, en des temps inhabitables, ce sont des maisons pour des temps abolis, mais nous savons malgré tout que de telles indications peuvent révéler, sur la courbe du temps, toute la lumineuse fraîcheur d’un monde à venir.
[© Michel Cegarra / Mai 2016]